Histoire d’elle et de lui

Voici un conte mélodramatique pour réviser les pronoms elle, il, la, le, lui, lui, elle et lui ! Si nécessaire, consultez l’aide mémoire.

Les personnages : Elle, Il.

Il la connaît. Elle ne le connaît pas.

Oui, lui, il la connaît, il la voit souvent. Mais elle, elle ne le connaît pas. Elle ne le voit pas, elle ne l’a jamais vu. Il semble qu’elle ne le remarquera jamais.

« Elle ne me remarquera jamais » pense-t-il désespéré lorsqu’il la croise.

« Nous nous croisons tous les jours. Moi, je la regarde toujours, mais elle, elle ne me voit jamais. Serai-je enfin vu d’elle un jour ? » Il en désespère. En pensant sans cesse à elle, il se dit à lui-même qu’il faut y croire. Mais il y croit de moins en moins, il en perd peu à peu tout espoir.

C’est qu’il la voit partout !

Va-t-il acheter les croissants du matin à la boulangerie du coin, elle y va aussi, elle y est avant lui, elle en achète aussi ! La vendeuse lui demande si elle ne veut pas avec ça deux ou trois pains au chocolat. Elle explique poliment pourquoi elle n’en veut pas. Il la comprend bien, lui non plus, il n’en prend jamais. Elle adore le chocolat, dit-elle, mais il n’y en a généralement jamais assez dans un pain au chocolat, et ceci lui laisse un désagréable sentiment de frustration. D’un autre côté, reconnaît-elle, si l’on y mettait trop de chocolat, la pâte qui l’entoure ne serait probablement pas assez cuite et le résultat s’en trouverait semblablement décevant. C’est pourquoi elle préférait s’en tenir aux croissants. Et ça aussi, il le comprend. Décidemment, comme il la comprend bien, cette femme qui ne l’aperçoit jamais lorsqu’il attend derrière elle dans la boutique du boulanger du quartier ! Et quand elle en sort en disant au revoir à la vendeuse, il lui répond avec celle-ci, mais cette femme-là ne l’entend pas, ne le voit pas. Elle n’a pas le moindre soupçon de son existence. Ah ! quel sens aura son existence si elle en reste obstinément dans l’ignorance ?

Trois quarts d’heure plus tard, il sait qu’il va la revoir. Il ne s’y est pas trompé. À l’arrêt d’autobus, la voilà. Elle l’attend. Le bus, évidemment. Lorsque celui-ci arrive, il s’incline devant elle en la laissant y monter. Elle remercie parfois vaguement, vaguement consciente qu’une présence humaine s’est effacée devant elle pour la laisser passer, conscience à son tour effacée de sa mémoire comme le remerciement s’efface de ses lèvres dans le sourire qu’elle adresse au chauffeur de l’autobus.

Comme il le haïssait ce chauffeur qui le privait du regard qu’aurait pu susciter le remerciement devant son effacement ! Comme il le maudissait en son for intérieur !

Il l’a maudit si fort qu’ils en ont eu un jour un accident. Le chauffeur a fini ses jours dans un platane de l’avenue des Lilas. Le platane aussi en est mort. Et lui, lui, il en est presque mort d’extase lorsqu’il l’a tenue dans ses bras sur les trottoirs sous les platanes de l’avenue des Lilas. Il s’est précipité sur elle afin de la secourir. À peine et très légèrement blessée dans l’accident, elle a cependant perdu conscience. C’est inerte qu’il la tenait dans ses bras allongeant le pas sous les platanes de l’avenue des Lilas. Il voulait l’emmener chez luielle le remercierait en s’éveillant, en revenant à la vie, en lui adressant son premier regard et son premier regard sur lui. Mais les pompiers l’ont rattrapé sous un platane de l’avenue des Lilas. Et lorsqu’elle a repris conscience, ce n’est pas lui, c’est Georges, sapeur-pompier, qu’elle a embrassé tout en versant quelques larmes sur le sort de son chauffeur de bus préféré.

Depuis, il ne la regarde plus.

Dommage. Car elle se demande souvent, à l’arrêt d’autobus, comment on pourrait engager la conversation avec ce monsieur qui semble ne voir personne.

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